samedi 20 septembre 2008

BALADE – Postdam, un jour en Prusse


Sévèrement bombardée pendant la guerre et durablement ancrée en RDA, Potsdam retrouve aujourd’hui sa splendeur passée, du temps des rois de Prusse. Prenez le temps de flâner dans cette cité perchée au
bord de la Havel…et revenez y !



Un bout d’Hollande (Photo. LPJ-Cécile Leclerc)


Vous êtes arrivés à la gare de Potsdam. Vous voici prêt à traverser la Havel et à affronter les grues et autres engins de travaux. Car la seconde capitale de Prusse –après Berlin– se refait une beauté. Sur la Yorckstraβe ou la Brandenburgerstraβe, de superbes maisons baroques défilent sous vos yeux, donnant des teintes orangées, roses et jaunes à la vieille ville. Parfois, une façade délabrée rappelle que le Brandenbourg était en RDA. Derrière la place du Bassin surplombée par l’Eglise St Pierre St Paul de style byzantino-roman, voici la « petite Hollande de Prusse ». L’empereur Frédéric Guillaume Ier fit aménager ces quelques 150 maisons à partir de 1734 pour accueillir des artisans néerlandais réputés dans l’art d’assécher les terrains marécageux. Aujourd’hui, il fait bon flâner dans ce quartier hollandais, abritant des cafés, galeries d’art et autres antiquaires.


Sans Souci, le Versailles prussien

Le château rococo de Frédéric le Grand (Photo. LPJ-Cécile Leclerc)

Poussez désormais jusqu’au parc royal. Lorsqu’il arrive sur le trône en 1740, Frédéric II se fait construire, sur ses propres plans, une nouvelle résidence. Souverain éclairé, ami des arts et francophile –on raconte même qu’il maîtrisait mieux la langue française que celle allemande–, le roi baptise son château « Sans Souci » : tout un programme ! C’est ici, dans ce chef d’œuvre rococo, que Frédéric le Grand donne ses dîners philosophiques, accompagné de philosophes, peintres et musiciens. Voltaire participera trois années durant à ces soupers dans la grande salle de marbre d’un blanc éclatant. Carl Philippe Emmanuel, le second fils de Bach, jouera de la flûte traversière avec le souverain dans le salon de musique blanc et or. La profusion est de mise dans le décor intérieur comme dans celui extérieur. Laissez vous tenter par une visite…avec des chaussons de feutre : du kitsch jusqu’au bout des pieds ! Dehors, la vue est imprenable : le château jaune domine six terrasses de vignes, d’arbustes, de fleurs et de fontaines. A votre droite, le palais des invités. A votre gauche, la galerie de tableaux qui abrite aujourd’hui des œuvres de maître italiens, flamands et hollandais.


Un parc enchanteur aux demeures fantaisistes

Le Nouveau Palais : tout en profusion ! (Photo. LPJ-Cécile Leclerc)

Continuez votre promenade dans un parc de 290hectares regroupant quelques 400 variétés exotiques, où trônent, ici ou là, héros et dieux de la mythologie gréco-romaine. Arrêtez vous devant le très charmant pavillon chinois aux statues dorées et aux couleurs verte et rosée, miroir de l’enthousiasme de l’Europe baroque pour la culture orientale. Le belvédère de style italien et la maison du dragon, logement du vigneron attitré du roi bâti en 1770, valent également le détour. Quelques mètres plus loin, Frédéric Guillaume IV construit un siècle plus tard son Orangerie à la manière des villas romaines. Mais revenons à Frédéric le Grand : au roi philosophe se substitue souvent le monarque qui entend gouverner seul, le conquérant militaire qui doublera l’étendue de la Prusse en 46 ans de règne. Suite à la Guerre de Sept ans, il compte montrer au monde la puissance et la force de la Prusse en construisant le Nouveau Palais. Comprenant 400 pièces (on est loin des 12 pièces du premier château), la bâtisse surplombe le parc dans un style rococo tardif et surchargé. Un théâtre de plus de 300 places, une salle de la grotte au décor marin opulent : une réelle « fanfaronnade », d’après le roi lui-même. Au château Sans-Souci la grâce, au Nouveau Palais l’extravagance. Les architectures foisonnent à Potsdam, faisant du parc un véritable lieu de rêverie. Une promenade…Sans Souci, on vous dit !

Cécile Leclerc (www.lepetitjournal.com/berlin.html) 2008



Potsdam, c’est aussi…
- Un p’tit bout de Russie : Suite au Congrès de Vienne de 1815, célébrant la victoire des monarchies européennes contre Napoléon, Frédéric-Guillaume III fait construire 13 maisons de style russe pour loger 26 soldats, cadeau du tsar Nicolas 1er. La colonie russe « Alexandrowka » est aujourd’hui un coin d’évasion au cœur de la forêt. Montez jusqu’au Belvédère (1849) pour avoir un panorama exceptionnel sur la ville et ses environs.
- Le théâtre de la Seconde guerre mondiale : Du 17 juillet au 2 août 1945, les Alliés se réunissent au château Cecilienhof, un pastiche de manoir anglais qui fut le dernier château des Hohenzollern. Les délégations britanniques, américaines et soviétiques s’entendent sur les nouvelles frontières de l’Allemagne, découpée en 4 zones. Les dissensions se font déjà entendre, c’est le début de la guerre froide. Pour visiter la toile de fond du Traité de Potsdam : http://www.spsg.de/index.php?id=126
- L’empire du cinéma allemand: à quelques kilomètres de Potsdam, Babelsberg est la ville où sont nés les plus grands films du cinéma d’avant-guerre. Un grand hall de briques abritait les studios de Fritz Land ou de Josef von Sternberg. C’est là que Marlène Dietrich devint l’Ange Bleu. Aujourd’hui, le site est un parc d’attraction dédié au cinéma. http://www.filmpark-babelsberg.de/index.php?id=254


Informations touristiques : http://www.potsdamtourismus.de/
S7 – Potsdam ou Regional Express DB
Bus “Schlösser Linie” 695 pour aller à Sans-Souci
Informations sur le domaine de Sans-Souci, inscrit d’ailleurs au patrimoine de l’UNESCO : http://www.spsg.de/index.php?id=32

mercredi 17 septembre 2008

PEINTURE (2) – George Grosz, un peintre qui choque


Actuellement exposé à l’Expressionale, George Grosz interpelle. Pionnier du mouvement de la Nouvelle Objectivité, il a mis fin aux effusions sentimentales des expressionnistes, en critiquant fermement la réalité de la République de Weimar. Eléments
pour comprendre un peintre rebelle.


L’intensité expressive, l’absence de normes, les couleurs agressives : la Neue Sachlichkeit (Nouvelle Objectivité, Nouveau réalisme) est bien la fille de l’expressionnisme allemand. Mais la Première guerre mondiale ayant ravagé l’Europe et détruit la Prusse confère aux artistes une nouvelle responsabilité politique. Désormais, l’art est une arme.

Retour à la réalité

Otto Dix, Wildwest, 1922

L’Allemagne de Weimar a du mal à se relever de la guerre des tranchées. La pauvreté règne, seuls les « opportunistes de guerre » s’en sortent. Dès lors, les artistes allemands utilisent leur pinceau à des fins politiques et crient aux inégalités sociales. Les toiles ne sont plus le reflet des émotions secrètes du peintre, mais celui de la société malsaine et corrompue de l’après guerre. La volonté de représenter le réel en vue de le changer l’emporte sur le désir de partager son ressenti. « Tout art est exorcisme » disait Otto Dix. Considéré comme un « art dégénéré » par les nazis, le mouvement s’éteint en 1933, en même temps que son père l’expressionnisme.


George Grosz, la caricature dans l’âme

George Grosz, Schönheit, dich will ich preisen, 1919

L’exposition l’Expressionale est l’occasion de découvrir un des maîtres de cette école allemande : Georg Groβ, qui changera son nom en anglais par provocation vis-à-vis de la haute société allemande anglophobe. Par l’exagération caricaturale, le peintre montre avec vérisme l’état de la société de l’après guerre. Tout le monde y passe : les gros propriétaires terriens (bien gras), les prussiens haut-fonctionnaires (avec le monocle), les bourgeois passifs (avec une bouteille à la main), le clergé et les militaires. Des profiteurs de guerre : voilà ce qu’ils sont ! L’artiste observe la réalité quotidienne et assassine ses concitoyens avec ses crayons. Ses œuvres témoignent de son don de visionnaire. En 1921, Grosz dessine déjà des croix gammées sur les cravates des politiciens opportunistes…alors que le NSDAP n’est pas encore connu à Berlin. Fervent communiste, il dénonce d’abord la répression absolue de la Révolution communiste de 1918 dans son tableau « Le droit habite chez les plus puissants » (Das Recht wohnt beim Überwaltiger ») Mais un voyage de cinq mois en URSS en 1922 le conduira à quitter définitivement le parti communiste allemand. Une lucidité précoce sur le caractère dictatorial du régime soviétique.

Des œuvres érotiques

Début janvier 1933 : Grosz quitte l’Allemagne pour les Etats-Unis, craignant l’arrivée d’Hitler au pouvoir…ce qui sera chose faite à la fin du mois. Là-bas, il troquera les caricatures politiques pour des caricatures érotiques. L’exposition l’Expressionale présente une trentaine de ces œuvres surprenantes pour l’époque. Entre animalité et humanité, les êtres sont peints avec une certaine pureté. Le peintre se représente d’ailleurs à plusieurs reprises assouvissant ses fantasmes. Et ajoute un pénis aux femmes… pour mieux percer le secret de leur jouissance sexuelle. Ces œuvres hors du commun sont sûrement réunies ensemble pour la dernière fois. Comme la plupart des tableaux de l’Expressionale, ceux de Grosz sont également destinés à la vente. Quand commerce et art font bon ménage. Une chose qui aurait certainement déplu à l’artiste engagé.

"Kauernder Rückenakt nach links und sitzender Maler",1940


Cécile Leclerc (www.lepetitjournal.com/berlin.html)

dimanche 14 septembre 2008

PEINTURE (1) – L’expressionnisme allemand, des états d’âme sur une toile



(Mon séjour chez Le petit Journal de Berlin est maintenant terminé, une page s'est tournée, une autre est en train de s'écrire à Strasbourg! A vous qui n'avez peut être pas pu lire tous les articles publiés sur le site du journal, voici une sélection de mes articles "coups de coeur"! Bonne lecture!)



Cet été, deux musées berlinois consacrent leurs expositions à la peinture expressionniste allemande. L’occasion de revenir sur un des plus grands mouvements artistiques de l’Allemagne. Et de découvrir un de ses maîtres.



Début du XXème siècle. Le nationalisme gronde, la guerre se fait proche. La psychanalyse apparaît, on extériorise ses angoisses. Alors que la photographie se perfectionne, l’art pictural perd sa fonction privilégiée de reproduction objective de la réalité. Les artistes d’Europe du Nord se tournent vers la projection de leur subjectivité. L’expressionnisme voit le jour.


S’affranchir des normes, délivrer ses émotions
Josef Scharl : Straβenszene (1930) http://www.expressionale.de/

Fini l’impressionnisme français de Cézanne et Renoir qui s’attache à décrire la réalité physique des choses. Finies les reproductions impeccables de paysages du naturalisme. Détruire les vieilles conventions : tel est le mot d’ordre des premiers expressionnistes allemands. L’artiste doit donner libre cours à son inspiration. Sa toile devient le lieu de l’épanchement de ses émotions. Une scène de rue, un rire, un visage, un corps nu : la simplicité est de retour, l’individu au centre de l’attention. Les peintres allemands tournent le dos à l’industrialisation et se dressent contre l’académisme de la société. Point de perspective dans leurs œuvres mais des lignes acérées et des couleurs criardes. En somme, une peinture agressive pour atteindre la plus grande intensité expressive. Un art qui sera qualifié de « dégénéré » par les nazis. L’arrivée d’Hitler au pouvoir en 1933 marque la fin de l’expressionnisme allemand. De nombreuses œuvres sont détruites ou brûlées, les artistes s’exilent ou se suicident.


Ernst-Ludwig Kirchner, pionnier de l’expressionnisme allemand

Amerikanische Tanzpaar, 1910/1911

En 1905, Kirchner fonde avec trois autres peintres le mouvement « Die Brücke » (le pont). Leur mot d’ordre : s’affranchir du style académique et ouvrir de nouveaux chemins dans l’expression artistique. A l’occasion des 70 ans de la mort de l’artiste, qui s’est suicidé en 1938, ne supportant plus de voir qu’on assassine son œuvre sous ses yeux, le « Brücke-Museum » de Dahlem lui rend hommage par trois expositions en 2008 et 2009. La première, « Meisterblätter », présente une centaine de ses œuvres. Griffonnées au crayon de mine ou à la craie, ses dessins sont le miroir de ses émotions. Le fond prime sur la forme. Quelques traits suffisent, qu’ils soient fins à l’encre de chine ou gras au charbon, les formes prennent vie : le rebord d’une fenêtre, le sommet d’une montagne, un sein rond, un entrejambe. Kirchner croque aussi bien les villes de Dresden et Berlin et les montagnes de Suisse que ses concitoyens bourgeois. A l’honneur : la beauté féminine. Seules ou en couples, les femmes sont nues sur des tableaux dénudés. Le vide a sa place dans ces portraits où la simplicité est de mise. Des couleurs acides viennent parfois embellir le tout. Ici, un fond vert turquoise. Là, une ligne orangée et un gribouillage rouge. « Kircher dessine comme d’autres écriraient » affirme l’artiste lui-même. Ses toiles sont le reflet de son vécu et de ses sentiments. Et nous inspirent à notre tour de l’émotion.

Ernst Ludwig Kirchner, Paar, 1908



Cécile Leclerc (www.lepetitjournal.com/berlin.html)