mardi 6 avril 2010

Serbie: la terrible fuite en avant d'une Europe aveuglée par son désir d'élargissement






















A peine le Parlement serbe avait-il condamné le massacre de Srebrenica (quelques 8000 musulmans bosniaques ont été tués par les forces serbes dans ce village de Bosnie orientale en juillet 1995) le 31 mars dernier que Catherine Ashton, la nouvelle Madame Europe, la haute représentante pour la politique étrangère, s'est empressée d'applaudir un premier signal pour la réconciliation dans la région des Balkans.

Mais s'il y a une chose que Madame Ashton a évité de préciser, c'est bien que le parlement serbe refuse encore et toujours de parler de "génocide", qualificatif pourtant employé par le Tribunal pénal international de l'ONU sur l'ex-Yougoslavie (TPIY). Selon La Haye, le drame de Srebrenica serait même le plus grand massacre perpétré sur le continent européen depuis la Seconde guerre mondiale.

Ajoutons à cela que Ratko Mladic, général qui commandait les forces serbes bosniaques, court toujours (Pire: Belgrade a avoué que ce cher général a touché sa retraite jusqu'à 2005) et que la Serbie continue à nier l'existence de l'État du Kosovo (à l'inverse des 27 de l'UE) et à bloquer toute marchandise portant le sceau des douanes kosovares.

Belgrade ne joue clairement pas le jeu de l'Union européenne: irrespect de la souveraineté de ses États voisins, mauvaise volonté à faire comparaitre les anciens criminels de guerre et à travailler conjointement avec le TPIY.

Mais non! Bruxelles préfère fermer les yeux sur ces réalités au nom d'une adhésion future de la Serbie à l'Union européenne (le dossier de candidature a été déposé en décembre dernier). Depuis le 19 décembre 2009, les ressortissants serbes peuvent même voyager sans visa sur la grande majorité du territoire européen, au même titre que les ressortissants macédoniens et monténégrins – Quid des citoyens bosniaques? Bruxelles a jugé que la Bosnie avait encore des efforts à fournir en terme de progrès démocratique. Une décision incohérente, me semble-t-il. Car comment expliquer aux musulmans bosniaques que les serbes de Bosnie ont le droit, eux, de voyager sans visas? Pour réconcilier une région mise à feu, on a vu mieux.

Union européenne, beau cercle de pays (plus ou moins) démocratiques, quelle est cette fuite en avant? A quoi jouez-vous, chers technocrates et hommes politiques de Bruxelles? Je sais bien que votre/notre belle Europe manque de souffle et qu'elle aurait besoin de projets nouveaux pour avancer, mais ne serait-il pas plus logique d'approfondir notre Union à 27 (notamment sur les plans politique et social), plutôt que de l'élargir à des pays pour le moins instables.

Ce que les médias ont appelé "la crise grecque" nous a montré à quel point il est nécessaire de consolider les bases de l'Union européenne, d'éteindre les braises qui la menacent de prendre feu et de s'effondrer… avant de prendre le risque de se confronter à d'autres incendies. L'Union a tendance à privilégier la rapidité des élargissements, pensant que tout sera réglé par la suite – comme par magie. A tort. Prenons le cas de Chypre. L'Union a préféré accepté la candidature de l'État chypriote (sud de l'île) avant que ne soient réglé les problèmes de mésentente avec les chypriotes turcs du nord. Comme si l'adhésion de Chypre faciliterait les choses. Que nini. Six ans après, les tensions persistent entre la Grèce et la Turquie, et l'Union se retrouve coincée entre les deux.

Je me souviens qu'en 2005, alors que l'Union entamait les négociations d'adhésion de la Croatie, un de mes professeurs (hommage à Monsieur Eymeri, s'il me lit!) nous avait averti sur les dangers d'une telle fuite en avant. Car si l'Union accepte des États instables en connaissance de cause, en partant du principe que tout ira pour le mieux (dans le meilleur des mondes!) grâce à cette adhésion, elle ne pourra pas par la suite mettre ces mêmes États à la porte, sous le prétexte qu'ils sont instables. Ce sont donc nos chers soldats européens (et nos euros) qu'on enverra dans les Balkans, disait-il, lorsque de nouveaux conflits éclateront.

Cette idée me faisait sourire à l'époque. J'avais alors mes grands idéaux et croyais ferme en les bienfaits de l'Union européenne qui réussit à créer un certain équilibre à partir de déséquilibres – à l'instar du réveil économique de l'Espagne, du Portugal ou de l'Irlande. Je me disais alors: pourquoi pas? Les Balkans font après tout partie du continent européen. Même si leur intégration peut paraître rapide à certains, elle permettrait d'y mettre en place une certaine stabilité.

Oui, mais…. Mais peut-on tourner une page sans la lire? Un travail de justice et de réparation des victimes doit être commis. Il faut penser les plaies du conflit yougoslave. Sinon, elles brûleront un jour de nouveau. C'est le rôle du TPIY: aider à la cicatrisation des blessures. Or, le dernier film ô combien magnifique de Hans-Christian Schmidt (Der Sturm / La révélation) nous révèle que l'Union européenne presse le TPIY. Justice n'est pas faite paradoxalement au nom de la réconciliation nationale. Dans le film, un général serbe, responsable de meurtres et de déportations massives lors du conflit avec la Bosnie, se voit acquitter suite à des tractations (en coulisses!) entre diplomates et avocats. Car l'Union européenne voit d'un bon œil sa candidature aux future élections présidentielles de Serbie.

La raison d'État triomphe face aux victimes. L'Union européenne privilégie la reconstruction des États des Balkans (ici l'État serbe) quitte à mépriser la reconstruction des individus. Le regard de Mira (jouée par la superbe Anamaria Marinca), la victime de son bourreau serbe, en dit long lorsque tombe la sentence. Même la justice internationale en laquelle nombre de victimes ont mis tant d'espoir déçoit. Triste monde. Triste Europe qui range ses beaux idéaux aux placards au nom de sa (real)politique étrangère.

Aujourd'hui, le TPIY s'avère avoir été un véritable échec. Les victimes ne croient plus en la justice internationale. Le procès maintes fois reporté de Radovan Karadzic (l'autre responsable du massacre de Srebrenica) qui s'ouvre enfin pourrait-il changer la donne? L'espoir d'un sursaut de courage des jurés est encore permis.

Personnellement, je persiste à penser que la justice et la vérité doivent triompher pour qu'enfin les Balkans se tournent vers un avenir serein. Bruxelles devrait y réfléchir. Car si l'Union accepte le dossier de candidature de la Serbie tout en continuant de jouer les hypocrites sur ce qu'elle appelle « justice », si elle garde les yeux fermés, alors elle sera pris dans un engrenage duquel il lui sera difficile de sortir. Quant à moi, j'aurais perdu tous mes espoirs en cette Union européenne à laquelle j'ai tant cru.


Tout sur le film La Révélation:
http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=18929404&cfilm=136376.html

2 commentaires:

Bruno Rosar a dit…

Rien à redire sur votre article cohérent. Juste une petite précision : tous les 27 pays de l'UE n'ont pas reconnu le Kosovo, certains comme l'Espagne s'y refusent pour l'instant.

D. Grcic a dit…

Je partage votre opinion selon laquelle l'élargissement ne doit pas se faire à tout prix. A noter que Kouchner s'est rendu en Serbie il y a peu et a tenu un langage curieux concernant le Kosovo. Il a dit que la reconnaissance du Kosovo n'est pas une condition à l'adhésion à l'UE, avant d'ajouter qu'elle est nécessaire. Du coup la presse a titré: la reconnaissance du Kosovo n'est pas une condition. L'UE semble moins ferme à exiger Mladic, me semble-t-il, c'est regrettable.
Dragan