Retour sur les crimes commis en Tchétchénie
1999. La Seconde guerre éclate en Tchétchénie. Le semblant de paix aura été de courte durée. Peu importe ici l’enjeu du conflit, le résultat est là : « opérations de nettoyages », pratiques d’enlèvement, de tortures, de prises d’otages, de détention dans les prisons illégales, bombardements d’étranges convois humanitaires, actes de racket, détentions arbitraires, disparitions forcées, extorsions de fonds, exécutions sommaires,… La liste est longue. Un véritable régime de terreur s’instaure en Tchétchénie. Silence, on tue.
Depuis huit années, les ONG dénoncent de tels crimes. La FIDH (Fédération Internationale des droits de l’Homme) et le Centre des droits de l’Homme « Mémorial » ne cessent de rapporter ces exactions sur la scène publique et de réclamer justice.
Après de l’ONU, tout d’abord. A peine quelques déclarations de conformité. Aucune enquête. La faiblesse de l’organe international a –une fois de plus- été démontrée. Face à la souveraineté étatique, l’ONU fait profil bas. Sans compter sur le véto du géant russe au Conseil de Sécurité. A l’heure où Poutine présente la répression en Tchétchénie comme faisant partie de la lutte contre le terrorisme international, le consensus international est de fermer les yeux. Le projet de résolution sur la Tchétchénie par la Commission des droits de l’Homme de l’ONU de 2003 a même été rejeté. L’impunité des autorités russes est la règle. Peine perdue. Triste constat.
Deuxième essai : l’Union Européenne. Voisine de la Russie depuis l’élargissement de 2004, Bruxelles avait ici l’opportunité de se hisser sur la scène internationale. La récente instauration d’un mécanisme de dialogue structuré et régulier entre les deux puissances sur la situation des droits de l’Homme fait alors figure de vitrine des bonnes intentions des européens. La réalité : les enjeux économiques restent maîtres des relations russo-européennes, il faut garantir la sécurité dans l’approvisionnement en énergie, les résolutions relatives aux violations commises en Tchétchénie attendront. Realpolitik dans toute sa splendeur. Et pour se donner bonne conscience, l’UE joue la carte du Conseil de l’Europe et de sa CEDH. Confusion sur confusion. Un petit rappel s’impose.
1950. L’heure est à la réconciliation. Se créé un club de démocraties européennes baptisé « Conseil de l’Europe » (petite parenthèse : auquel se joindra la Turquie 10 années plus tard…). Dans un idéal de promotion et de défense des droits de l’Homme naît la Convention Européenne des droits de l’Homme. Sa cour (la CEDH) siége à Strasbourg. Pilier juridique.
1952. Naissance de la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier, grande sœur de la Communauté Economique Européenne dont nous avons célébré les 50 ans en 2007. Pilier économique.
Deux entités différentes à l’origine. Au fil des années, la CEE a évolué, devenant une Union en 1992 par le traité de Maastricht. Coopération politique et coopération juridique interne font désormais parties de ses piliers. Il faut du temps pour approfondir ses relations.
La CEDH, elle, se distingue comme une entité juridique reconnue à l’échelle internationale, capable de juger les crimes des droits de l’Homme commis par un de ses Etats-membres à la lumière de sa Convention (qui a, d'ailleurs, inspiré la Charte Européenne des droits fondamentaux adoptée lors du traité de Nice en 2000, c'est dire la force des liens CEDH-UE). La Russie ayant rejoint le Conseil de l’Europe en 1998, la CEDH est apparue comme le dernier frein aux crimes commis contre les Tchétchènes aux yeux des ONG.
Troisième essai… réussi. Le 24 février 2005, dans trois affaires concernant six plaignants tchétchènes contre la Russie, la CEDH a désavoué les autorités russes en rendant trois arrêts qui condamnent l’Etat fédéral russe pour la violation du droit à la vie, la violation du droit de propriété des requérants et le manquement au droit à un recours effectif. La responsabilité de l’Etat russe est enfin reconnue, qui plus est, par un organe judiciaire de protection des droits de l’Homme et sur la base d’initiatives individuelles. L’égalité des armes est reconnue juridiquement entre un individu et l’Etat russe, entre une petite victime et un géant étatique.
Mais que représentent 16 arrêts (rendus entre 2005 et 2007) concernant 16 affaires tchétchènes face au nombre de crimes commis ? La banquise cache l’iceberg. Même les arrêts rendus ont leurs limités : absence de force exécutoire (la CEDH ne disposant pas de pouvoir coercitif, la souveraineté étatique primant encore et toujours) ; absence d’enquêtes indépendantes par des experts lors de l’établissement des faits et donc confiance à l’Etat russe dans la transmission des preuves ; refus de la Cour d’utiliser des présomptions (par exemple, refus de statuer dans une affaire alors qu’il y avait des doutes objectifs quant à la formation d’un couloir humanitaire par les autorités russes dans le but d’y attirer des civils). On est plus dans le symbolique que dans le concret. Malgré ces limites propres à la CEDH, on ne peut que souligner le caractère novateur de ces arrêts. Un pavé dans la mare a été lancé. D’autres sont attendus.
Aujourd’hui, il est clair que l’Union Européenne faillit à son rôle en « se reposant sur » la CEDH. Mais Strasbourg n’est pas Bruxelles. Une condamnation juridique rendue par une Cour indépendante concernant des affaires individuelles n’équivaut pas à une condamnation politique. Inutile d’espérer du côté de l’ONU. L’UE a ici un rôle à jouer. Elle ne devrait pas oublier qu’elle reste le partenaire commercial numéro un de la Russie et que les fonds financiers qu’elle lui apporte par le biais du programme TACIS sont nécessaires. Elle a le devoir de s’exprimer si elle veut s’affirmer comme puissance politique majeure sur la scène internationale.
Mais pour l’instant : ONU : 0 – UE : 0 – CEDH :1.