lundi 26 juillet 2010

Piquée par le moustique Afrique



On m'avait prévenu : « en travaillant pour cette rédaction, tu vas te découvrir une nouvelle passion africaine. ». C'était il y a un an. J'étais en stage au service francophone-africain de la Deutsche Welle, la radio internationale allemande. J'avais pour collègues : un nigérien, un ivoirien, un béninois, un togolais, un guinéen et même un centrafricain. Diffuser en Afrique noire sans jamais y avoir mis les pieds? Je devais voir tout « ça » de mes propres yeux! J'ai pris mes billets pour la RCA en janvier. « C'est où le Centrafrique ? » « Ben, au centre de l'Afrique !».
Et c'est parti, en plein mois de juin, impatiente de découvrir ce nouveau continent...surtout qu'entre temps, me voilà embauchée à la Deutsche Welle. Il me tarde de mieux comprendre l'univers de mes (futurs) auditeurs.
Mes premières impressions sont encore bien nettes dans mon souvenir. Cette terre rouge vue de l'avion, avec tout autour : de la verdure, rien que de la verdure! Un reste de territoire où la nature est encore reine. C'est à un voyage des cinq sens que m'invitait le Centrafrique : les bruits des klaxons dans les rues, moyen de s'imposer sur la voie de circulation, les cris des vendeurs à tout va, les enfants qui chantent et dansent en même temps; les odeurs de détritus qui trainent, de ma sueur mélangée à la chaleur, et ce parfum de la terre rouge arrosée par la pluie; les mille et une couleurs des robes des femmes, les différences de peau « noire », l'impression d'être une martienne à la peau trop claire; le goût des épices et des bananes plantains, des arachides en veux-tu, en voilà, et des mangues juteuses comme on n'en voit pas chez nous! Même la lune est différente: un croissant ou un quartier horizontal, tel un smiley dans le ciel. Forcément, on approche de l'Équateur. J'ai vite pris le rythme centrafricain: vivre avec la lumière du jour. Lever entre 5 et 6h avec le soleil, et coucher à 20h30, deux heures après la disparition du soleil.


Bangui, la capitale, fut ma première étape. Impression de gros village. Ici des routes défoncées, là des poules en liberté. Quelle ne fut alors pas ma surprise de découvrir « la brousse ». Décor tout droit sorti du dessin animé Kirikou. Des huttes en terre cuite aux toits de paille, des scènes quotidiennes de cuisine dehors (hum, les bonnes sauterelles!), des cochons et des moutons ça et là. Une chose m'a vite émerveillée : voir ces femmes portées de lourdes charges sur leurs têtes – des draps, le repas du midi, ou de l'eau – et le tout avec les mains libres! Avec, souvent, un enfant dans le dos. Elles illuminaient mes journées avec leurs pagnes colorés et leurs coiffures sophistiquées.

Cécile, l'amie que je visitais, a été une guide précieuse. Elle m'a appris à reconnaître bien vite les différences physiques entre les deux ethnies qui cohabitent: les Gbayas et les Peuls. Les derniers étaient des nomades dans le passé, ce sont souvent eux qui élèvent les troupeaux de zébus qui traversent la piste, ici ou là... Et cette chose blanche au bord de la route? Du manioc, la nourriture fétiche ici. J'ai testé, je n'ai pas aimé – à mon grand désarroi. Difficile de comprendre pourquoi les gens de la campagne ne se nourrissent principalement que de manioc, pourtant peu nutritif. Alors que la terre semble propice à accueillir de nombreuses autres cultures...des fruits et légumes aussi.

D'une manière générale, j'ai senti le pays plus que démuni. Dépassé entre d'un côté l'arrivée de la modernité et cette envie de faire aussi partie de la mondialisation, de l'autre un stade de développement pour le moins reculé. Même si ça n'était pas mon premier voyage dans un pays du « Sud » (j'avais déjà découvert des quartiers pauvres au Caire), c'est en Centrafrique que j'ai pris conscience de la relativité de cette notion du « développement ». Est-ce être en retard que d'aller chasser les fauves avec son arc et ses flèches? D'aller aux champs avec une faux? De cultiver principalement du manioc? S'il n'y avait pas la mondialisation (commencée selon moi avec les premières ventes d'esclave puis avec la colonisation), ça ne serait pas grave. Après tout, ils vivent comme ils l'entendent. Avoir 15 enfants pour être sûrs que la moitié (sur)vivent. Mais l'arrivée de nos modernités a tout chamboulé: avoir un portable alors qu'il n'y a pas d'électricité, se servir de sacs plastiques alors qu'il n'y a pas de prises en charge des déchets (direction: la rue!), …

Ce n'est pas tant la misère des gens qui m'a le plus choqué mais ce sont les conditions sanitaires: le manque d'hygiène dans les marchés improvisés avec des bâtons de bois où la viande traîne à l'air sur les étales attirant d'inévitables mouches; la mauvaise qualité de l'eau qui entraîne d'innombrables diarrhées; cette malnutrition pire encore que la sous-nutrition. Est-ce parce que je savais que j'allais animer le magazine Santé de la DW? J'ai été en tous cas très sensible à ces différences sanitaires. Je perçois d'autant mieux la nécessité d'aborder des questions toutes simples: l'équilibre alimentaire, l'allaitement maternel (au cours duquel se transmet souvent le virus du SIDA), l'hygiène de vie...

C’est aussi là-bas que j’ai pris conscience du sens du mot « État ». Comment un pays peut-il se reconstruire sans avoir de structure propre qui le dirige ? L’état des routes laisse à désirer (et encore, paraît-il que la route entre Bangui et Bouar venait d’être refaite… pour accueillir le président !). On trouve très peu de transports en commun faisant les jonctions entre les principales villes du pays (on s’entasse tous dans un véhicule… qui ne part qu’une fois chargé à bloc). Même à Bangui, impossible de trouver de bus : taxi pour tout le monde (à 6 voire 7 dedans !) Malgré tout cela, l'État empoche des sous aux différents péages le long des routes – péages que certains hauts-placés se permettent de ne pas payer, fermant ainsi la boucle d’un beau cercle vicieux.

Surtout, j’ai pu constater l’existence de barrages militaires, et encore, j’étais dans une voiture d’ONG et ma peau blanche me protégeait. Mais des discussions passionnantes avec un fonctionnaire de la mission de l’ONU en Centrafrique me l’ont confirmé : la première des libertés bafouées n’est pas tant la liberté d’expression que celle de circulation. Les autorités usent facilement de leur pouvoir, que ça soit aux barrages ou en ville. D’ailleurs, Cécile me racontait que de nombreux garçons ont le rêve de devenir…. militaire ! Car qui dit pouvoir, dit argent. Finalement, l’armée fait peur plus qu’elle ne protège. Après tout, c’est grâce à elle que le président a pu se hisser au pouvoir…Alors qu’en Europe, je me sens protégée par les services publics et la structure étatique en général, en Centrafrique un simple uniforme me faisait peur. Et si un garde a décidé de me confisquer mes piles rechargeables de mon appareil photo, j’ai beau lui rétorquer que je suis dans mon droit, il a le pouvoir, un point c’est tout !

Belle application de mes cours de sciences politiques en tous cas. L'État ou le monopole de la violence légitime, l'État au service de la cohésion d’une société… Tout cela manque là-bas ! Dès lors, comment appliquer notre système électoral à un tel pays ? C’est ridicule ! Les pancartes accrochées un peu partout dans Bangui nous ont bien fait rire : « nous avançons sûrement » avec une image d’une grosse tortue ! Et surtout en dessous : « déjà la liste électorale informatisée ». Ah oui ? Comment fait « l'État » centrafricain pour avoir une liste électorale, ne serait-ce que manuscrite, alors que la plupart des gens ne sont pas recensés en brousse, et ce, même dans les grosses villes de province ? Ont-ils même une carte d’identité ? J’ai hâte de suivre le déroulement des élections en octobre prochain. Le président Bozizé avait en tous cas bien entamé sa campagne. Même en brousse, j’ai croisé des gens avec des t-shirts oranges, sa couleur officielle. Et des banderoles sur les routes : « la Centrafrique remercie son excellence François Bozizé pour ces 5 années au service de la paix et des libertés fondamentales ». Inutile de se demander s’il a utilisé les deniers publics pour sa campagne (quoique, dans ce domaine, nos beaux pays occidentaux n’ont pas de leçon à donner si j’en crois les derniers rebondissements de l’affaire Woerth).

Enfin, ce voyage m’a permis d’entamer une réflexion (loin d’être terminée) sur la Francafrique. Certes, le passé colonial ne peut pas s’effacer d’un coup de baguette magique. Il reste de nombreuses traces physiques, qu’il s’agisse des anciennes maisons coloniales, des infrastructures tombées en friches (cinéma, pharmacie, bar…), ou des anciens camps militaires français (« tu t’appelles Leclerc ? Comme le camp près de Bouar ! »). Et puis il parait logique que notre système juridique (Cour de Cassation d’un côté, Conseil d'État de l’autre) ou notre système monétaire (les anciens francs) soient encore d’actualité. Malgré tout, la France du XXIème siècle est, elle aussi, présente : Total pour alimenter le pays en essence, Orange pour la téléphonie mobile, ici un vieux bus de chez nous qu’on ne veut plus, là une guirlande « Bonnes fêtes » qui fait tâche au cœur de la capitale centrafricaine. Les liens entre la France et ses anciennes colonies sont encore bien étroits. Et si nous n’étions nous-aussi pas un peu responsables des problèmes africains ? Et si nous les étouffions à notre manière, en voulant maintenir ces liens du passé ? Et encore, je n’ose évoquer l’exploitation de leurs ressources. Nous avons croisé, avec Cécile, une fille d’une ONG européenne qui nous a parlé de mines d’uranium dans le nord du pays….exploitées par Areva. Tu m’étonnes !


Cela fait plus d’un mois que j’ai quitté la terre centrafricaine, et pourtant, je continue d’y penser chaque jour. Nous avions un sujet sur les rebelles en Centrafrique la semaine dernière, et mes collègues voulaient que je m’en charge : « c’est toi la spécialiste de RCA maintenant à la rédac’ ». C’est vite dit.
Moi qui ai la fâcheuse habitude de regarder mes pieds quand je marche, j’ai des envies soudaines de terre rouge. Notre bitume bétonné me déprime. Au moins, ça m’oblige à lever la tête et à regarder droit devant. Je suis en manque de bananes plantains aussi.
On me l’avait dit : j’ai été moi aussi piquée par le moustique Afrique!
Prochaine destination : le Niger pour voir mon ancien collègue et ami Seyni, découvrir un pays d'Afrique de l'Ouest, d'autres paysages, de nouvelles cultures... L'an prochain, qui sait?