Depuis plusieurs mois, des exilés afghans ont élu domicile autour du Canal Saint Martin, à Paris.
Paris, 10ème arrondissement. Comme tous les soirs, Michel et les autres bénévoles de l'Armée du Salut distribuent un repas chaud au bout du quai de Jemmapes. Pour l'occasion, la mairie a bien voulu refaire un petit bout de trottoir. Il est 19h. SDF, immigrés, personnes dans le besoin: tous attendent de pied ferme dans le froid depuis une bonne demi-heure. Le thermomètre est proche de zéro. « Prenez de la soupe, ça vous réchauffera » clame Michel à la foule affamée. « Et aujourd'hui, c'est du poulet, chicken ». « And chicken again » rétorque un jeune homme au teint mat et aux yeux bruns. La conversation s'engage: « What's your name? » « Fahim, I come from Afghanistan ». Comme plus de la moitié des 200 à 300 personnes qui bénéficient de la « soupe de nuit » offerte par l'Armée du Salut. Michel commente: « Beaucoup logent en face ces temps-ci ». En face, c'est de l'autre côté du canal Saint-Martin, en contre-bas du quai Valmy. Une rive à l'abandon, loin des merveilleuses scènes d'Amélie Poulain faisant ses ricochets. Bienvenue au campement d'une cinquantaine d'Afghans!Fahim emprunte le pont qui traverse le canal et ramène sa soupe dans son « chez lui ». Il rejoint Raul et Youssef sur le trottoir qui surplombe la rive. Tous deux ont mangé dans un autre centre d'accueil en fin d'après-midi. « Je n'aime pas la soupe en face, ça n'est pas halal » se lamente Raul dans un anglais quasi parfait. Il porte un jean, un gros blouson noir et un bonnet rouge qui lui couvre toute la tête. Ce sont des associations qui lui ont donné ces vêtements d'occasion. Ce jeune homme de 22 ans est patchoune et vient du Sud-Est de l'Afghanistan. Comme tous les autres exilés qui vivent avec lui en contrebas, Raul a parcouru un long chemin avant d'arriver en France: du Pakistan à l'Italie, en passant par l'Iran, la Turquie et la Grèce. Toute ses économies sont passées dans ce voyage interminable: celui qui rêvait d'être ingénieur en Angleterre, là où vit son oncle, se retrouve à la rue en France sans un sou. Et ce, depuis trois mois. Pourtant, Raul ne regrette rien. Quitter son pays, « sa seconde mère », était une évidence. La guerre a tout détruit et les combats entre Talibans et les forces internationales continuent et font du quotidien des habitants un enfer. Youssef, lui, a perdu ses parents lors d'un bombardement aérien. Fahim s'emporte: « les Américains ont tué nos familles. Est ce que nos enfants, nos mères, nos femmes étaient des Talibans? Non! »
Les trois Patchounes descendent les escaliers qui mènent au bord de l'eau. Une imposante grille verte s'interpose devant eux. Les Afghans ont pourtant réussi à braver l'accès interdit: ils se glissent dans un trou d'un mètre sur un mètre à travers la grille et rejoignent leur lieu de vie, sous le pont. Une quinzaine de tentes et de matelas gisent au sol. Ça pue, c'est sale, c'est humide. Des poêles trainent sur les pierres à côté de grosses bouées jaunes. De nombreux détritus flottent à la surface de l'eau du canal gelé. Youssef s'indigne : « Beaucoup parmi nous sont malades. J'en connais qui ont des problèmes de peau ou aux dents. Pourquoi nous laisse-t-on dans cette misère? » Des associations viennent certes les aider au quotidien, mais sans papiers, ces jeunes Afghans se retrouvent sans domicile fixe. Un travail? Inimaginable. Un logement? Inconcevable. « Je ne comprends pas pourquoi les Européens ont facilement des papiers et pas nous. Notre pays est en guerre. Pourquoi Sarkozy ne veut pas de nous? Nous sommes intelligents, nous pouvons travailler ici » proteste Youssef, dont les yeux couleur ébène s'illuminent. En Afghanistan, il avait fini le parcours secondaire durant lequel il a appris à parler l'anglais correctement et il s'apprêtait à devenir médecin.
A quelques mètres du campement, le long du canal, ses « voisins » ont fait un feu pour se réchauffer. Il fait froid et Youssef n'a pas de gants. Ce soir, les Afghans sont nombreux à discuter autour des flammes. « Le matin, dès 5h, on est près du feu, tellement l'air est glacial. » explique Raul. La journée, ils jouent aux cartes, blaguent, se rendent au Kiosque ou dans des centres d'aide pour se laver et manger. Ils vont aussi à la mosquée de Barbès, pour prier.
Un camion de pompiers passe sur le quai derrière. La sirène retentit dans les airs se mêlant à la musique du métro aérien. De quoi rappeler à Youssef, Fahim, Raul et les autres qu'ils vivent en plein cœur de Paris. Sur la rive en face, l'Armée du Salut remballe sa soupe quotidienne. Il est 20h45. L'heure d'aller se coucher pour ces exilés afghans. Et de rêver à de meilleurs horizons...
C.L.
A quelques mètres du campement, le long du canal, ses « voisins » ont fait un feu pour se réchauffer. Il fait froid et Youssef n'a pas de gants. Ce soir, les Afghans sont nombreux à discuter autour des flammes. « Le matin, dès 5h, on est près du feu, tellement l'air est glacial. » explique Raul. La journée, ils jouent aux cartes, blaguent, se rendent au Kiosque ou dans des centres d'aide pour se laver et manger. Ils vont aussi à la mosquée de Barbès, pour prier.
Un camion de pompiers passe sur le quai derrière. La sirène retentit dans les airs se mêlant à la musique du métro aérien. De quoi rappeler à Youssef, Fahim, Raul et les autres qu'ils vivent en plein cœur de Paris. Sur la rive en face, l'Armée du Salut remballe sa soupe quotidienne. Il est 20h45. L'heure d'aller se coucher pour ces exilés afghans. Et de rêver à de meilleurs horizons...
C.L.